Pour Sabrina Gruss, le monde est un os plus ou moins circulaire en forme de plateau. Un peuple tout en os et sans couleur habite et s’agite sur ce plateau.

Aujourd’hui, ce peuple d’os, presque humain, est au rendez-vous pour la Grande fête de la Grande Fin. Ces carnavaleux défilent et cavalcadent à l’intérieur du cercle. Au premier rang, Soupe à la Grimace entraîne le groupe ; puis arrivent Petit Rictus, Chien jaune, et la Folle du Six fois Neuf. Viennent ensuite Sourire Pluvieux avec ses rats, Tête Morte et Gueule Noire, Franc Débris, les Sœurs Trouées et, main dans la main le Dresseur de gymnestre et la veuve Remugle. Ils sont tous là, l’orchestre Furieux était arrivé la veille avec ses tambours de peau, ses violons aigres et ses clarinettes bouchées.

Ils ont travaillé comme des fous et pendant des siècles à l’harmonisation de leurs âmes avec le monde. Ils sont maintenant en état de perfection. Ame experte en crétinerie, âme de cancre, âme de joyeux plouc, de frère couillon, d’agrégé en débagoulage, en ratage, en suçage de roue… la liste est trop longue.

Ils savent tout, ils ont tout vu. La traversée des siècles les a instruits et ils arrivent au but. Un peu usés, un peu fatigués, sans beaucoup d’illusion mais toujours joyeux avec ce désir de fête qui les taraude.

Je me pose parfois la question suivante, leurs vieux os ont-ils connu la chaire ? Probablement, mais il y a bien longtemps. Le voyage fut si long que la viande à fondu. Reste l’essentiel, l’os, avec parfois un petit morceau de peau jaunie, transparente et parcheminée. Pauvres êtres presque déjà poudreux, ils navigueront bientôt dans la poussière du temps qui recouvre tout, au milieu des étoiles ou dans je ne sais quelle province de l’infinie.

Sabrina Gruss, amoureuse de la vie et du vivant les aime passionnément. Pourquoi a t’elle choisi de leurs donner la vie au moment du grand basculement ? Elle nous montre le moment fatal, la Fin et l’image que nous composons nous-mêmes, l’image de notre énigmatique et fantomatique équipée. Nous nous savions poudreux mais peut-être pas à ce point. Osseux et sans couleur, jeunes ou vieux, ridés et fissurés, nos souvenirs n’intéressent plus personne et nous sommes arrivés au bout de la ballade.

Vas t’on rire encore une fois ? Battons le rappel des tambours, des violons, des clarinettes et chantons l’hymne à « la mort joyeuse »

Sabrina pouvait-elle trouver une autre issue à notre aventure ? Je ne le crois pas. Elle est loin de la duplicité et du mensonge, elle ne triche pas. Avec sa gravité et toute la force de son ironie, elle nous initie à cette évidence, la partie est finie. Arrive la nuit et son silence. Le Grand Tout progressivement se couvre de poudre d’os et de poussière.