Depuis de nombreuses années, Sabrina Gruss sculpte et assemble le temps, enlève et creuse la matière défunte, redonnant vie à l’inanimé ; racines ondulantes, souches poreuses, ossements blanchis, faces de rats, de chats ou de belettes, intègrent progressivement son atelier, véritable ossuaire novarinien. Là, de l’autre côté du miroir, on découvre fascinés une collection hétéroclite constituée de rebuts d’humanité : un tas de dentelles vaporeuses, du velours rouge, quelques cordelettes usées, des squelettes classifiés, des bestioles déplumées trente-trois mues de serpents, quarante-deux oisillons domptés et dociles, vidés de leurs entrailles, cent soixante-cinq coquillages brunâtres, le tout glané dans la nature, au fil du hasard. A l’instinct, avec patience et passion, Sabrina Gruss utilise ces différents matériaux pour littéralement mettre en scène la mort et ses avatars.

L’ensemble de son travail plastique se rapproche d’une définition Nietzschéenne de l’art qui doit « embellir la vie », en réinterprétant ce qui est laid, « ces choses pénibles, épouvantables et dégoutantes qui, malgré tous les efforts, à cause des origines de la nature humaine, viendront toujours de nouveau à la surface ». En ce sens, Sabrina Gruss est une sorte d’artiste-embaumeur, une thanatopractrice dévouée qui s’applique à dissimuler et embellir les cadavres. Son œuvre, en associant l’enfance perdue, la mémoire et la finitude, façonne les contours d’un monde onirique où mourir devient un privilège, une chance de retrouver la lumière.